Description du projet LEGIPAR

 

  1. Contexte et enjeux scientifique

Le projet de recherche LEGIPAR (« Légitimation parlementaire et gouvernement démocratique en France et dans l’Union européenne ») est fondé sur un double constat :

a. Le premier est celui de la nécessité d’une réflexion informée et objective sur la légitimation des systèmes politiques français et de l’Union européenne. De nombreux travaux relevant de la théorie politique, de l’analyse électorale, de l’étude des opinions publiques ou encore de la sociologie des mobilisations ont établi le diagnostic d’une crise de confiance des citoyens dans leurs institutions nationales et européennes – les institutions locales jouissant globalement d’une meilleure image. Toutefois, de manière quelque peu paradoxale, ces travaux envisagent peu la place et le rôle des parlements et de leurs membres, alors même qu’ils sont au fondement de la logique démocratique des systèmes politiques contemporains, et que la représentation parlementaire constitue encore le principal vecteur de participation des citoyens et de légitimation des régimes. A l’échelle de l’Union européenne, le processus continu de renforcement des pouvoirs du Parlement européen montre que, même dans un système politique fondé sur des formes alternatives de légitimation (expertise et logique d’agence, négociation intergouvernementale, néo-corporatisme), la voie parlementaire continue d’apparaître comme une référence.

Des travaux essentiellement théoriques ont analysé la place du parlement dans la dynamique de (dé)légitimation des systèmes politiques contemporains pour conclure généralement en l’avènement d’une forme post-parlementaire de représentation (Andersen, Burns, 1996). Selon Bernard Manin (1995), la démocratie du public succéderait ainsi au parlementarisme et à la démocratie des partis pour placer en son centre une offre politique personnalisée, charismatique et désinstitutionnalisée. Colin Crouch (2004) a poursuivi plus récemment ces intuitions en décrivant, à travers le concept de « post-démocratie », un système décisionnel échappant largement au jeu de la représentation parlementaire au profit de négociations occultes entre dirigeants gouvernementaux et groupes d’intérêt.

Les sciences sociales se sont largement saisies de la question démocratique, avec trois limites toutefois :

  • la théorie et la philosophie politique ont abondamment évoqué la problématique de la représentation, tout particulièrement en France (Manin, 1995 ; Rosanvalon, 1998, 2000 au niveau national ; Mairet, 1989, 1996, Ferry 2000a, 2000b au niveau européen), mais sans établir de lien avec des phénomènes empiriquement observables ;
  • la sociologie politique a envisagé cette question, mais de manière partielle, en se focalisant soit sur l’étude des professionnels de la politique, soit sur les perceptions citoyennes des systèmes politiques. La question de la représentation elle-même et des représentants a été peu traitée en tant que telle ;
  • de nombreux travaux ont été consacrés plus récemment aux évolutions de la participation (démocratie délibérative et participative, consultations de citoyens, médiations sociales, dialogue civil…) et sont venus alimenter le débat sur l’état et l’avenir des régimes contemporains. Mais ils ne traitent la représentation parlementaire qu’en creux, et la tiennent dans un angle mort par rapport à d’autres dispositifs institutionnels en la considérant comme un phénomène du passé, nécessairement en déclin. Or, si les formes alternatives et nouvelles de participation et de légitimation sont au coeur des débats savants, profanes et partisans sur les transformations de la démocratie, elles restent pour l’instant principalement établies au niveau local et ne jouent encore qu’un rôle très partiel dans le fonctionnement des systèmes politiques français et européen.

Il convient donc de réintégrer une analyse du rôle des mécanismes de la représentation parlementaire à la réflexion sur l’état et l’avenir des systèmes politiques nationaux et supranationaux. Pour intéressantes qu’elles soient, les analyses considérées dessinent en effet une relation finalement ambiguë entre le parlement et les processus de (dé)légitimation des systèmes politiques contemporain. La marginalisation supposée des enceintes parlementaires est le plus souvent comprise comme un indice de leur faible capacité à maintenir ou à restaurer la confiance des citoyens vis-à-vis du politique ou à exercer une influence quelconque sur l’action publique. A l’heure de la post-démocratie, la médiation parlementaire aurait fait son temps.

Cependant, la difficulté des nouvelles formes de représentation et de participation politique à s’imposer à d’autres échelles que locale et la permanence des parlements en tant qu’arènes du débat public et que symboles de la démocratie (Chryssochoou et al., 1998 ; Costa et al., 2004), suggèrent une toute autre hypothèse : les parlements contribueraient à maintenir et à perpétuer des liens ténus de légitimation dans des systèmes politiques travaillés – et à certains égards, menacés – par des dynamiques extra-institutionnelles (globalisation, individuation…). Une telle hypothèse fait apparaître la nécessité d’opérer à partir et autour des parlements un travail empirique solide, pour mieux cerner la place du mécanisme représentatif classique face aux nouvelles formes de participation, et déterminer le rôle des institutions parlementaires face aux institutions exécutives et administratives, et aux représentants du pouvoir économique, de la société civile et des intérêts privés.

 

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