4. Description des travaux : programme scientifique

a. Problématique

Dans un contexte de recomposition de la démocratie représentative, aux échelles nationale et européenne, et de promotion des alternatives participatives ou d’expertise sectorielle, la question centrale du projet LEGIPAR est :

Selon quels processus les parlements, et plus particulièrement l’Assemblée nationale en France et le Parlement européen à l’échelle de l’Union, participent-ils encore et toujours au processus de légitimation du pouvoir ?

En particulier, compte tenu du niveau de défiance des citoyens envers les organisations politiques et les institutions électives enregistré dans de multiples enquêtes nationales et internationales, il convient d’examiner dans quelle mesure et jusqu’à quel point cette « crise » de la politique et de la représentation peut être imputée à ces assemblées. Rapportés aux différents types de critiques qu’elles peuvent susciter, il s’agit d’établir en quels termes ces assemblées peuvent contribuer à un discours de légitimité parmi différents axes envisageables, compatibles mais pouvant se développer de manière non coordonnée (contrôle de l’exécutif, initiative de la loi, contrôle de la production normative européenne, réactivité aux demandes des citoyens, modification de leurs propres modes d’élection et de fonctionnement, etc.). En tenant compte des évolutions objectives (activités et influence des parlementaires) et subjectives (du point de vue des élus et des citoyens), le projet LEGIPAR se donne les moyens de mener une véritable investigation scientifique de ces multiples dimensions de la représentation parlementaire, que l’ensemble des travaux disponibles peine (ou ne s’efforce pas) habituellement de considérer conjointement. C’est précisément l’interrogation sur le thème de la légitimité qui assure l’articulation problématique entre les différentes perspectives mobilisées, s’inscrivant en cela pleinement dans la réflexion requise en termes de gouvernabilité des sociétés démocratiques contemporaines.

b. Questions thématiques

Les éléments recueillis dans le cadre de ces trois opérations de recherche seront utilisés de manière complémentaire et comparative pour dresser un bilan de divers aspects de la représentation parlementaire en France.

On se penchera tout particulièrement sur quatre thématiques :

  • 1. l’impact des nouvelles formes de participation sur les perceptions de la représentation parlementaire (élus et citoyens) et les attitudes et pratiques des élus ; l’objectif est d’analyser la perception par les élus et les citoyens des modes coopératifs de construction des décisions politiques et sociales et des nouvelles formes de participation, et d’évaluer leur impact sur les discours, pratiques et stratégies de présentation de soi des élus.
  • 2. l’impact des comportements parlementaires sur l’influence du parlement en matière de policy-making et de contrôle. La question de la légitimation doit aussi être analysée sous l’angle de l’influence des enceintes parlementaires vis-à-vis de la décision publique. Outre la mesure de cette influence dans le cas de l’Assemblée comme du Parlement européen, un des enjeux majeurs de l’étude consiste à établir si les assemblées contribuent à rapprocher les décisions publiques des préférences collectives des citoyens (ou de l’électeur médian). L’hypothèse d’une perpétuation des formes parlementaires de légitimation pourrait en effet supposer que, à l’encontre d’une dynamique d’affirmation des institutions non élues et non majoritaires, les assemblées portent les intérêts et opinions des citoyens au cœur du policy-making. Il importe également d’établir, pour différents types de députés, quels facteurs contribuent le plus fréquemment et le plus solidement à expliquer leurs initiatives et leurs décisions dans les processus de policy-making : division sectorielle du travail au sein du groupe parlementaire, relais des demandes liées aux spécificités de la circonscription, lien à une influence extérieure (lobbying), etc.
  • 3. genre et représentation  ; les données disponibles pourront être mobilisées pour aborder la question de la parité et du genre. Le faible nombre de femmes élues à l’Assemblée nationale est en effet la manifestation la plus évidente du décalage sociologique qui existe entre les représentants et les électeurs. Nous pourrons nous pencher sur la manière dont les uns et les autres perçoivent cette situation, mais aussi analyser les stratégies qui sont à l’œuvre pour favoriser l’élection des femmes dans les différents partis, étudier les éventuels contrastes de comportements, de valeurs, d’opinion, de carrière entre élus hommes et femmes, et enfin déterminer si le genre des citoyens a un impact sur leurs conceptions de la représentation. A cet égard, la comparaison entre Assemblée nationale et Parlement européen, dont la délégation française s’est fortement féminisée avec les lois sur la parité, peut se révéler particulièrement fructueuse.
  • 4. représentation parlementaire et intégration européenne : la représentation parlementaire a été affectée par l’intégration européenne du fait, d’une part, de « l’affaiblissement » des parlements nationaux et, d’autre part, de l’institution d’un double niveau de représentation dans l’Union. La portée exacte de ces deux phénomènes est toutefois incertaine. Un commentaire récurrent consiste ainsi à souligner l’affaiblissement qui a frappé les parlements du fait des transferts continus de compétence des Etats vers l’Union européenne, et de l’influence particulière des exécutifs au sein de ses institutions ; mais les données font défaut pour objectiver ce point de vue. Depuis les déclarations de Jacques Delors au début des années 1990, le discours commun situe à 70 ou 80% la proportion de la législation nationale résultant de la transposition de normes européennes. Une première recherche empirique nous a toutefois permis d’établir que seules 15% des lois sont effectivement concernées (Brouard, Costa, Kerrouche, 2007). Il faut en outre tenir compte de la revalorisation des fonctions de contrôle des parlements nationaux au nom de l’intégration européenne, de la montée en puissance du Parlement européen – lui aussi directement élu par les citoyens – et du renforcement des mécanismes de coopération interparlementaire. Il importe donc d’évaluer plus précisément l’impact de l’intégration européenne sur les activités de l’Assemblée nationale, sur les perceptions que les députés ont de leur rôle et sur les attentes que les citoyens formulent à l’égard de la représentation nationale en tant qu’organe de souveraineté confronté à la production législative européenne. Il convient également de recueillir le point de vue des citoyens sur l’application du mécanisme de la représentation parlementaire à deux niveaux depuis 1979, et la remise en cause des conceptions traditionnelles de la délégation de souveraineté que cette évolution implique.
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